Kazakhstan – la steppe fond

Et la steppe fondit. De -10 à -20°C les premiers jours, il fait désormais près de 5°C. Tout fond à une vitesse folle. Mais cette immense plaine n’a que très peu de pentes. l’eau reste sur place transformant le sol en un gigantesque marécage. Djeep, camions 6 roues motrices, Manitou, plus rien ne bouge. même le bulldozer de génie civil reste coincé comme un idiot.

seul hic, le printemps était sensé se produire début mars et nous n’avons pas vu venir le redoux. toute l’activité s’est arrêté, il ne reste plus de fuel que pour une quinzaine de jour, pas plus de nourriture, d’eau potable, et il manque du matériel essentiel.

Il est l’heure de se reposer en regardant l’horizon et en attendant les camions. Vu la hauteur de boue, ca va être long.


Angola – un simple quidam

Luanda.

L’air est saturé de lumière et de poussière, je plisse les yeux. Je suis un quidam mais pas un passant. Je ne suis personne, une fourmi parmi tant d’autres et comme mes semblables, je suis présent sans vraiment appartenir à la cité. Cette ville fonctionne à plusieurs vitesses. Parmi tous les flux et reflux,  le nôtre semble tout faire à contre courant.

Je suis géologue expatrié pour une compagnie pétrolière.

La voiture qui m’emmène est verrouillée dès l’instant où je monte à bord. Je suis à l’arrière, les portes sont closes, quand bien même je le souhaiterais elles ne s’ouvrent pas. Mon regard erre par la fenêtre sans plus rien voir. Mes yeux ouverts sont aveugles. Nous traversons l’immense bidonville qui borde l’aéroport, c’est le Mousek. Avant, il ne s’écartait que d’un kilomètre autour du centre ville. Aujourd’hui, ces baraquements de béton et de tôles serrés les uns contre les autres s’étirent à perte de vue. La voiture roule lentement. Le chauffeur comme tous les autres, virevolte sur la route défoncée. Entre les voitures, une multitude de jeunes vendent tout et n’importe quoi. Ceintures, briquets, homards, pèse-personne, devise locale, clefs à molette, téléphones portables. Le flot est lent. De temps en temps, un véhicule ralentit. Le vendeur court alors à son côté pour marchander. La voiture ne s’arrêtera que si le bouchon continu l’exige. Il faut avoir de bonnes jambes.

Au bord de la route, des bidons, des canettes, des pneus, une épave calcinée, un homme endormi s’ajoutent au relief des bâtiments soviétiques décatis. Mon regard s’attarde sur une fenêtre. Au milieu des antennes satellites et des climatiseurs, des impacts réguliers  marquent d’antiques rafales de mitrailleuses.

Après un temps court, ou long, vingt minutes ou deux heures, la voiture s’engage sur la Marginale, une large avenue qui court le long de la baie. Côté mer, des myriades de bateaux, de tankers, de cargos parsèment l’onde. En face, dans la flèche de sable qui sépare Luanda de l’océan, des épaves échouées sont rattrapées par les dunes. La récupération de leur acier aura bientôt raison de leur coque et seules les mégastructures indécoupables fossilisent au milieu des habitats qui suivent l’avancé du sable. Elles serviront de squelette à l’enchevêtrement de cabanes qui colonise chaque espace libre. Coté ville, derrière une caricature de Gattaca, derrière les tours des grandes compagnies pétrolières, derrière le palais présidentiel au sommet de la colline, il y a toujours le Mousek. Les étages appartiennent aux nantis mais le sol reste sa propriété. Il est partout, entre chaque bâtiment, entre chaque tour, entre chaque dalle. Ses habitants cherchent la vie, la subsistance partout où cela est possible. Le moindre kwanza gagnable sera gagné, parfois arme au poing.

Je suis un quidam, un insignifiant, mais l’expatrié que je suis est bien visible bien au milieu de cette fourmilière. Le Mousek n’est pas raciste, mais il a faim, et nous, étrangers naïfs, nous sommes si peu dangereux, si faciles à dépouiller.

Luanda est une mégapole prévue pour sept cent mille habitants en abritant sept millions. Le pétrole, manne inépuisable, a découragé toute autre activité.

Les compagnies pétrolières, semblables à d’immenses séquoias géants au milieu d’une steppe vide, s’élèvent dans la vie du pays comme les tours de bureaux qu’elles occupent. Elles sont omniprésentes, riches, colossales, pleines de sève. Autour d’elles gravite un miasme ininterrompu d’opportunistes. Tel du gui, tous ceux qui ont un peu de force, de pouvoir de créativité parasitent les rares fleurons de ce pays.  En bas de cette échelle de pouvoir, ceux qui n’ont aucun moyen de prendre une part de ces richesses restent dans la misère, ils peuplent le Mousek.

Une forêt sans âme pousse sur Luanda. Les arbres pétroliers croissent sur une terre désespérément aride où rien d’autre ne trouve de place. Ils doivent grandir vite car depuis leurs bases jusque déjà haut dans les branches, le gui recouvre tout.

Je suis un expat. Je suis là pour faire vivre, pour donner une dynamique à la croissance de cette entreprise déjà immense dans l’écosystème local. Nous sommes des milliers. Ils sont des millions. Pour chaque nouvelle branche, il faut de plus en plus de ressources, de temps, de risques. C’est une course, le gui, la masse des profiteurs recouvre tout, paralyse tout, asphyxie tout.

Il est efficace et redoutable d’imagination. Le port par lequel le gouvernement impose à tous de transiter, qui lui appartient et dont les prix sont aussi changeants que le cours d’une rivière; le racket organisé par les flics pour récupérer leur part du gâteau; les braquages qui ont lieu juste après les flics, kalachnikov en main pour ratisser les miettes; les quotas de personnels employés pour forcer un illusoire transfert de compétences; les pots de vin sur les frais de dédouanement, tellement organisés qu’ils obéissent à un barème : dix pour cent de la valeur du bien pour un dédouanement “rapide” en seulement une semaine.

Toute la créativité de la ville est employée à ponctionner la richesse existante. Il ne reste rien pour en créer, et le Mousek croit.

Toucher à ce parasitisme, chercher à assainir quelque aspect de ce milieu délétère, remet en cause un équilibre fragile de lutte d’influences menées par des experts retords. Toute la structure sociale est affectée car indépendamment des hommes de pouvoirs, un équilibre perfide s’est installé.

Les enjeux sont énormes. La corruption et le parasitisme sont tellement ancrés dans la vie, qu’ils sont devenus des moteurs d’ascension sociale bien plus efficace que toute forme de travail.

Alors nous préparons. Nous entretenons l’arbre, soignons de nouvelles branches tentons de freiner le gui là où il n’est pas encore implanté. Fiers de notre œuvre, nous la contemplons avec regrets, car il faut l’oublier. Tôt ou tard, il n’en restera rien.

Il n’y a pas d’autres arbres que les compagnies pétrolières. L’Angola,  pays béni des dieux, un climat heureux, des pluies régulières, trois récoltes par an, est importateur de nourriture. Pourquoi produire quelque chose, pourquoi créer un arbre agronomique, industriel, financier? La sève de l’arbre pétrolier est tellement plus facile d’accès.

La voiture s’engage sous le porche. Dans les deux mètres qui me séparent de l’hôtel, cinq gardes veillent. Dans cet espace, l’odeur d’égout, d’urine et de fiente me prend à la gorge. Les quelques arbres sont envahis d’un millier de mouette, ils sont morts, tués par l’acidité des déjections. Une canalisation d’égout reste béante, quelques tôles ondulées cachent un chantier abandonné. Nous sommes à Chicala, une des zones chics de Luanda.

Depuis mon Club Med avec bar en faux torchis je contemple la mer. Les débris de caoutchouc et la bouche d’égout un peu plus loin me soufflent d’éviter la baignade. Au loin j’entends une boite de nuit. La jeunesse de Luanda peut s’y retrouver pour peu qu’elle puisse trouver les centaines de dollars nécessaires. Les expats y vont rarement. C’est trop cher.

Face à ma piscine, sur le transat un whisky à la main, je contemple nonchalamment la ville. Heureusement, dans un mois, je rentre en France.


Paris.

La lumière cristalline de ce début de mars m’accueille d’un lever de soleil sur le train qui me ramène de Roissy. Mon regard erre par la fenêtre vers les cités de la Courneuve et de Saint Denis. Je note l’absence de voiture brulée, les bennes à ordures vidés, les rues propres. Les barres d’immeubles des années soixante ne sont finalement pas si mal et on peut encore voir la couleur des murs sous les graffitis. Le train se remplit. Un jeune homme se lève spontanément pour laisser s’asseoir une vielle dame. Je rêvasse en pensant à toutes ces voitures qui n’existent pas grâce au métro. Gare de Lyon, un passant m’indique précisément mon chemin, le sourire aux lèvres. Je suis une fourmi, un insignifiant, personne. Une multitude d’arbres poussent: Ils n’ont pas l’allure d’un géant pétrolier, ils sont moins grands, leurs frondaisons moins luxuriantes et certains sont morts. Une forêt entière grandit sous le soleil. Sur les branches basses, juste un peu de gui à peine remarqué. Au loin, par-dessus les toits, d’autres toits, peut être moins beaux, mais des toits. Que j’aime Paris.

 7 mars 2014, Paris, gare de l’Est

Mafate

Les montagnards désignent presque toujours leur montagne comme la plus belle du monde. J’ai vu les Carpates, et les hautes Alpes sont plus belles. J’ai vu les Pyrénées et les hautes Alpes sont plus majestueuses. J’ai vu le massif Central et les hautes Alpes sont plus vivaces. J’ai vu les Vosges et les hautes Alpes sont plus insaisissables. J’ai vu les pics du Lesotho et les hautes Alpes sont plus pures. J’ai vu les glaciers de Chamonix et j’ai ressenti la force de l’attraction entre l’Homme éternel et la montagne inaccessible. Puis, j’ai vu Mafate….

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Mafate : un cirque volcanique au milieu d’une île minuscule noyée dans l’océan Indien. Une oasis vide sur une île surpeuplée : une fin de monde.

Mafate, ce n’est rien. Tant qu’on le regarde d’en haut depuis les cols accessibles en voiture ou en randonnée d’un jour, ce n’est qu’un cirque volcanique comme tant d’autres, comme Cilaos, comme Salazie.
Pourtant, il est pudique. Le point de vue le plus commode est le Maïdo ; pic domestiqué où l’on va en voiture, un point de vue souvent inutile car Mafate dissimule ses mystères derrière d’omniprésentes brumes. Le col du Taïbit, le col des Bœufs : chacune de ces vues ne dévoile que rarement les dentelles de basalte, lames de roche déchiquetées qui s’élèvent du fond du cirque, murailles chaotiques issues d’un passé 16oublié. Mafate ne se laisse pas regarder, on ne peut l’observer. Il faut le percevoir, le respirer, sentir ses humeurs.

De loin, d’en bas, de la plaine, vue d’une carte, le col des Bœufs semble un accès facile. Même une fois garé, avant de passer le col il reste une tranquille petite brèche d’accès à travers la muraille insondable qui entoure le cirque. Pourtant, le début marque. Départ deux milles mètres ; huit cents mètres de descente d’un escalier sans fin pour atteindre La Nouvelle, bourg d’accueil des touristes en baskets. Jusque là, Mafate boude. Le chaland n’aura rien, rien de rien. Quelques tamarins, un sentier de bois ; ce sentier sans âme ravi tous ceux qui n’iront pas plus loin.

Mafate s’intéresse à ceux qui viennent réellement le visiter. Non pas d’un simple salut avant de repartir mais bien d’une visite courtoise en bonne et due forme, avec ses codes. Dans la descente de La Nouvelle au torrent qui le sépare du village de Roche Plate, le ton est donné. Des marches, des centaines de marches, un millier de marches, sans fin, sans répit.

Les marches sont la monnaie de Mafate.

Chacune rapproche de l’esprit du maître des lieux, chacune éloigne du monde des hommes.

Cette descente sans fin nous paye une vue sur la première cathédrale de pierre. La Nouvelle est construite sur un plateau à mille deux cents mètres qui domine un gouffre béant marquant le fond du cirque. Il faut passer par ce fond. Nous descendons entre deux parois subverticales de près de six cents mètres  tranchées au rasoir. De multiples cascades se frayent un chemin dans les anfractuosités de ces deux miroirs de verre. Ça et là, la trace d’une loupe d’arrachement témoigne du combat impitoyable que se livrent l’eau et la pierre sous l’arbitrage absolu du vide, profond, insondable, gagnant systématique de ce jeu de dupe.

La végétation luxuriante occupe le terrain. Sur de multiples épaisseurs les mousses et les fleurs s’enchâssent dans le moindre relief, s’accrochent aux moindres replats et tissent un indémêlable voile vert.

Ce spectacle qui se découvre au fur et à mesure de la descente nous enivre et nous fais perdre la notion du temps.

Les marches sont la monnaie de Mafate.

Mafate - route de Roche Plate - Eliane 002Mon compagnon de voyage ne peut pas payer. La patente est trop lourde, la peine sera sévère. Peine, douleur, ankylose. Chaque nouvelle marche, achetée à crédit multiplie l’endettement. Désespoir, anéantissement. Nous arrivons au fond du gouffre. Il est merveilleux. Nous sommes au fond du monde, au fond de ce monde. Le torrent tout proche sourde violemment et chaque tourbillon d’écume est amplifié un million de fois sur les deux grands miroirs qui désormais nous dominent totalement.

Vidé, mon compagnon de voyage s’effondre, s’endort, oublie le temps d’un somme ses jambes hurlant de douleurs, le torrent, les ravines, la nuit qui tombe, l’œil amusé de Mafate qui se divertit de la dette déjà accumulée par ce mauvais payeur.

Nous ne repartirons pas de ce défilé aujourd’hui. Nous n’atteindrons pas Roche Plate ce soir. Je profite d’un des cadeaux de Mafate et m’offre un bain délicieusement tourbillonnant dans l’écume du torrent. Je cueille ainsi les fruits de cette prison à ciel ouvert. Le fond du gouffre est accueillant. Le piège est parsemé de lits de sable, d’énormes chaos basaltiques, de reliquats de roches anguleuses témoins des derniers éboulements. Il fait bon, l’eau est douce, l’air calme ; pourtant la situation est dangereuse, très dangereuse. Je crains la pluie et les variations de débit du torrent, je crains les chutes de blocs dont l’écho régulier nous rappelle la fréquence, je crains les glissements de terrains dont les marques aux parois témoignent de la violence.

Pendant que mon compagnon de voyage paye ses dettes, je cherche un bivouac. Mafate n’est pas un ingrat et propose, pour les suffisamment téméraires de confortables plages de sable noir où planter une tente. Je guide mon compagnon qui titube jusqu’à la moins exposé d’entre elle. Pendant qu’il monte le camp, j’amène son sac, coquille abandonnée un peu plus haut.

Nous ne parlons que peu. Nous savons tous les deux que notre position est mortelle. La plus petite pluie signera notre arrêt de mort. À la moindre goutte il faudra fuir. Les sacs sont prêts, prêts pour déguerpir.

Nous dormons. Je surveille le ciel, veille les nuages, écoute le chant du torrent. Mafate est joueur et retient la pluie, n’obscurcissant la nuit que de quelques cirrus.


Le lendemain, direction  Roche Plate. Cinq cents mètres de montée. Cinq cents mètres de marches : un enfer. Nous partons cahincaha.  Lentement. Très lentement. Sûrement.

Les marches sont la monnaie de Mafate ; et même payé à crédit, il nous dévoile un peu son cœur. Depuis l’autre versant, dans la lumière bruissante autour des cascades, de multiples joyaux nous sont désormais accessibles. Dan
s l’air cristallin du petit matin, le gouffre nous montre sa magie paisible, tranquille, inaccessible.

Atteindre Roche Plate est une délivrance. Roche Plate, comme la Nouvelle, comme Marla est un petit hameau que les mafatais habitent, coupé du monde, seulement relié par le trait d’union d’un hélicoptère ravitailleur.. Mon compagnon de voyage s’effondre et nous fêtons cette arrivée d’un repos bien merité.

Roche-Plate. Un peu plus d’un jour de marche pour rejoindre notre point de départ au col des Bœufs, c’est long, surtout en clopinant. Nous décidons de nous séparer. Je partirai vers l’Est pour récupérer l’auto et mon compagnon de voyage soignera ses plaies avant de se diriger, le lendemain, vers le Maïdo. Le Maïdo ; mille deux cents mètres à pic. Mais pas d’autre choix, c’est la voie la plus simple et la plus courte pour sortir du cirque. Pour ma part, j’irai vers Marla, seul.

Mafate - route de Marla

Sur la route de Marla, je découvre d’autres visages de Mafate. Je paye Charon, passe, et Mafate me livre un peu plus de son cœur. Le sentier traverse un voile de brume et une vision jusqu’ici dissimulé se révèle. Le chemin de Marla serpente le long des parois du volcan. Je longe une immense dalle de basalte incurvée que forme le bord du cirque et qui me domine de près d’un millier de mètres. En contrebas, au loin, je vois le défilé dont nous nous sommes arrachés encadrer de grandes lames de roches, vestiges de l’effondrement du volcan. Rien n’est plat. Rien n’est doux, tendre ou verdoyant tel un alpage.

La route de Marla est taillée dans le flanc de la montagne. Elle s’enfile autour des gouffres, s’enfonce dans des ravines, surmonte des pitons. Des marches, des marches et encore des marches. À la montée, à la descente, toujours abruptes. Le plat, que dis-je, la pente douce est un concept que le maître des lieux a banni.

Les marches sont la monnaie de Mafate. Les pitons vertigineux succèdent aux ravines insondables toujours dominés du bord du volcan, barrière infranchissable qui me sépare du monde des hommes. Une brume m’accompagne qui de tant à autre se change en fine bruine. L’air est saturé d’humidité. Il est inutile de se cacher de la pluie. Je progresse torse nu et l’eau ruisselle sur ma peau tandis que j’avance vers l’amont des torrents. La végétation comme ailleurs a élu domicile dans chaque recoin et je traverse régulièrement de véritables tunnels de plantes tropicales qui me sont toutes plus étrangères les une que les autres.

La succession des dévers me fait perdre la notion du temps. Il fait bon. Les rivières que je croise me permettent de ne pas manquer d’eau. Je finis de me fondre dans Mafate. Je cesse de penser. Je deviens une chanson ; une chanson qui guide mon souffle, mon pas. Je suis une respiration. Je ne réfléchis plus. Je me sens bien. Je voudrais marcher sans fin ; une vie.

Trois Roches me sort de ma rêverie car Mafate me découvre un autre de ses charmes. Les pitons décharnés laissent place à une longue rivière de galets qui s’est taillée un chemin au travers des lames de pierre. Ma voie suit tant bien que mal ce vif torrent, passant d’un surplomb à un contrebas, esquivant les gorges et les à-pics que le cours d’eau a creusé.

Encore des marches, mais je ne les sens plus. De temps en temps je croise un raideur, un groupe de randonneurs. Ils n’existent pas. Je me suis fais capturé par Mafate et ces spectres ne percent pas la musique de mon pas. Je progresse dans un silence minéral. Les oiseaux chantent ma musique, les torrents battent mon rythme.

Marla. L’endroit est plaisant, je ne m’attarde pas. Je ne souhaite pas parler. Je continue. La nuit tombera bientôt. Près d’un torrent, en pleine forêt de pins : un bivouac. Ce soir encore, un bain. Quel bonheur. Quelle paix. Je monte la tente, dîne, dors bercé par le chant de l’eau.


Mafate - route du col des boeufs 004

Dès l’aube je repars. C’est la dernière ligne droite, la dernière montée pour rejoindre le col des Bœufs. Ensuite, il faudra faire le tour de l’île pour rejoindre le Maïdo. Je crains que mon compagnon de voyage ne tienne pas la montée. S’il craque, il faudra le porter.

Alors que paisiblement je gravis un coteau, j’émerge devant la plaine des Tamarins. Si dans mes lectures des légendes arthuriennes je m’étais jamais fais une représentation d’Avalon, alors Avalon était devant moi.

En quelques centaines de mètres je quitte ce tunnel végétal escarpé qui passait de pitons en ravines pour déboucher sur un plateau. Le soleil se lève encore paresseusement et commence tout juste à illuminer la rosée matinale essaimée sur les hautes herbes. Ces hautes herbes forment une clairière au centre d’une forêt quelque peu clairsemée de tamarins tous recouvert de lichens vert pâles. Les tamarins, trapus, ont des troncs en tout sens tel des Ents figés en plein mouvement. Les herbes dissimulent un marécage et un chemin de rondins s’y coule paresseusement marquant la marche à suivre. C’est une des rares plaines planes, peut-être la seule de Mafate. Je traîne, caresse un tronc, souris à une grenouille, m’attarde au chant d’un oiseau. Non loin, les hautes murailles du cirque sont les seules à me rappeler où je me trouve. Je déguste chaque pas comme un dessert rare, remplis mes poumons de la magie du lieu.

Les plus beaux miracles ont une fin. La plaine des tamarins s’achève sur le chemin joignant le col des Bœufs à La Nouvelle, une autoroute pour touristes visitant Mafate par un judas.

Dans la fraicheur matinale, une brume m’a rejoint et atténue les voix. Les babillements m’agacent, le retour au monde des hommes est dur.

J’arrive à la voiture. Col des Bœufs – Maïdo : trois heures. Au Maïdo, il pleut, il fait froid. Je cours à la descente pour rejoindre mon compagnon de voyage. Théoriquement, j’ai une heure d’avance. En fait, la pluie l’a forcé à limiter ses repos et je le voie qui arrive au sommet presque en même temps que moi. Fier, dans un sourire soulagé, il paye le prix de ses dernières marches, seul, sans aide.

Mafate est grandiose, solitaire et sans pitié. Les marches sont la monnaie de Mafate.

Russie, printemps

Depuis trois jours, il pleut. La semaine dernière, il avait neigé quelques flocons de neige, recouvrant la lande d’un doux matelas de silence blanc et cotonneux.

Puis, la température est remontée un peu, et la pluie s’est invitée.

Non pas l’orage, qui jette violemment sa hargne contre les bâtiments de fer avant de se retirer, calmé, en laissant un coin de ciel bleu. Non, la pluie d’automne.

La grosse pluie lourde, sombre, qui frappe inlassablement tous hommes et toutes choses.

Progressivement, même les tôles de voitures semblent devenir poreuses. Le sol, pourtant composé de dalles de bétons s’est progressivement recouvert de boue. Tout est détrempé, tous est sales, devenu une soupe infâme dans laquelle nous jouons le rôle des croûtons.

Les ornières progressivement formées, les containers faisant office de bureau, les caillebotis de tôles, et nous, incarnons une bien belle caricature de chercheur d’or brésilien à la saison des puits.

En cette seconde ou une quinte de toux me stop dans mon élan, la comparaison prend tout son sens.

La réunion en une lettre

C’est une grosse émeraude mal dégrossit qui fleurit au milieu de l’océan Indien.

Frustre, plein d’inclusions, elle a ce charme inimitable que lui reconnaît le minéralogiste mais que lui refuse le tailleur de gemme.

Monocristal vif, ces facettes sont formées dans les différentes coulées des volcans. À travers les siècles et les millénaires, chaque lave, chaque basalte a caractérisé l’ensemble d’une petite touche unique mais néanmoins volcanique.

La structure est là, de la roche noire, sous fond vert. Le manteau de chlorophylle se veut changeant… et il l’est. En fonction des roches et des versants, de l’altitude, de la cote ouest battu par le vent ou de la cote est noyé sous la pluie, tout les arbres du monde se sont creusés une place au soleil de la petite ile ; ce soleil qui de la pointe du jour au crépuscule joue au chat et à la souris avec les brumes.

Le caractère de l’île en est simple, brute, frustre, changeant. Les images d’Épinal n’ont pas court plus de quelques minutes le temps d’en traverser une avant de passer à une autre.

Rêver y est simple. Il suffit de se laisser porter par le voyage, s’imprégner à chaque instant au bon moment, d’une des âmes vivantes ici.

Russie, 20 janvier 2009

Kharyaga - pampa 001

Le Blizzard s’était arrété. Une toute petite brise soufflotait encore quelques flocons de neige, mais le calme était là. au petit matin, un évènement merveilleux sétait produit. Tout d’abord timide, il s’éloigna du bord du monde tout doucement, petit à petit comme un oiseau malade. Puis, prenant du courage dans le calme matinal, il se flatta de la lumière d’une bougie. Une lueur apparu dans le lointain.

La lueur, d’abord blafarde, se cristallisa dans l’air glacé du matin. Puis, soudainement, le ciel s’embrasa comme il ne l’avait encore jamais fait. le Soleil s’était levé. Après bientôt trois semaines de tempête, il était revenu au vent tombé pour nous offrir un peu de sa chaleur, glacial certe, mais si délicieuse au visage.

Profitant de ce moment de grace, je faisait un tour armé de mon appareil photo dont, entre autre chose, surgit le cliché ci joint.

Russie, 12 janvier 2009

Le blizzard souffle depuis 3 semaines.

3 semaines d’un vent omniprésent noyant dans une éternelle brume de poussière de glace toutes formes et toutes choses.

Au milieu des tourbillons de poudre blanche, des formes fantomatiques évoluent, éternels spectres au cœur de cette toundra isolé de toute forme de cité. La bise siffle au travers de chaque interstice, rien ne résiste à la progression de la neige. Inlassablement, les bulldozers nettoient pour laisser un brin de surface plane aux quelques véhicules qui doivent absolument circuler.

L’architecture des voies et des bâtiments prend tous son sens. Les routes, toutes construites de longues sections de plusieurs kilomètres sur un remblai de deux mètres semblaient complètement ubuesques. Mais avec la bise de l’hiver, cette construction est pleine de sagesse. Les arbres coupés sur les bords laisse au vent la joie de battre la route de toute sa fougue, de toute sa force la maintenant propre de tout congère. Ceux-ci se forment un peu plus loin, au-delà du remblais qui, suffisamment haut, ne pourra jamais être débordé. Seul hic, le moindre poteau sur le bas coté est propice à la formation de montagnes de neige qui peuvent atteindre près d’un mètre en quelques heures.

A leur instar, les bâtiments construits sur pilotis se protègent eux aussi d’un enneigement prématuré grâce à leur deux mètres de hauteur. Tout ce qui avait été stocké au sol est désormais définitivement inaccessible.

Au milieu de cette tempête irréelle, des hommes. Transit, ils s’activent dans leurs armures de plumes pour ne pas céder au froid. Bouger, dégeler les poutres d’acier, mettre en place les vérins, chauffer l’huile pour l’empêcher de figer, mettre sous pression, prendre garde que l’acier cassant ne cède pas, installer la grue, la mettre sous le vent, se réchauffer.

Car dans la tourmente incessante le froid est de la partie. -20, -30, parfois moins. Il faut faire attention à tout, tout gèle, même les pierres.

En dépit du froid et du vent, en dépit de la rudesse de travail et du temps, la mélancolie s’attarde ailleurs. Le coup de grâce, est la nuit quasi perpétuelle. Lorsque lors d’une des rares accalmit le soleil pointe son nez, lorsque très loin au sud, un œil rougeoyant tangente quelques instants l’horizon, tous, nous prenons quelques instants pour regarder ce vieux camarade qui n’est ici que l’ombre de lui-même, qu’un souvenir.

Néanmoins, la vie y est belle, car sous la neige et la tempête, derrière les paravents et les cagoules, il y a des hommes. Des hommes plus que vivants, des hommes qui rient quand le vent souffle, car tant qu’ils l’entendent souffler, c’est qu’ils sont debout.

Ici, être juste vivant, c’est déjà quelque chose, et rien que cela, rend l’existence merveilleuse. Dans ce désert blanc, chaque chose, chaque être prend son sens

Russie, l’hiver

Kharyaga - pampa 006


Lors de mon dernier voyage ici, l’hiver était arrivé. Arrivé comme ça, non pas comme quelque chose qui surgit, non pas comme quelque chose qui s’invite, mais comme quelqu’un qui est là, présent.

Nul besoin d’imposer sa présence, nul besoin de demander la permission ou même de la prendre, l’hiver existe tel le patriarche et on lui cède la place.

L’hiver possède ici ses quartiers. Dans le reste du monde la lutte entre les saisons est une course effrénée, un galop certain, une lutte pour la domination sans cesse remise en cause par le déroulement du temps. Tic, tac, chaque second compte.

Ici, non. Le Maître est là, serein. Il prend son temps, tranquille. Parfois il s’amuse…

Si au début de novembre il récupère encore de ses voyages ardues dans le sud du monde, à l’approche du début de décembre, il reprend du poile de la bête.

Un jour, vers midi, l’air n’a pas la même odeur. Plus cristallin. Ceux qui connaissent le pays se sont levés plus tôt pour mettre en chauffe les voitures. Pourtant, il ne fait pas si froid. -15°C comme tous les jours depuis quelques semaines.

Mais là, le vent souffle. Dés le début de l’après midi, dans la lumière crépusculaire fidèle serviteur du maître des lieux, le ciel s’éclaircit. Le soleil apparaît sous l’horizon lointain. Il procure sans doute un peu de douceur en d’autres lieux, pour d’autres hommes.

Ici, la lumière n’apporte nulle chaleur. Juste un petit peu de bonheur de voir ce fidèle compagnon.


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Pourtant, cet ami lumineux de toujours annonce par sa présence le début du jeu. La température décroît. -10… à midi. -14 à 14h. -15 à 15h. -18 à la débauche. -20 au repas. Moins deux degrés par heure. La nuit, il fait froid. Moins 20°C. Le lendemain, moins 25.

L’acier se pique d’une fine couverture de cristaux de glace que rien ne peut décrocher. Chaque particule de fer s’est recouverte de cette mousse argentée qui miroite dans la lumière blafarde.

L’air est glacial. -25°C. Les poiles du nez commence à geler. Protéger derrière nos écharpes, l’Oeuvre continue. Inlassablement, les petits bonhommes de laine continue leurs taches. Tout ce qui a été négligé est désormais gelé. Les lignes d’air comprimé mal confinées : gelées. Les conduites de pression, gelées. Les canalisations d’eau… non, elles tiennent. Les résistances électriques déversent des milliers de watts de chaleur pour maintenir les circuits d’eaux chaudes… pour maintenir le chauffage.

Mais l’hiver s’amuse. -26…-27…-30… là une légère brise se lève. Pas grand-chose, à peine de quoi dévier de son voyage vers les cieux la flamme de la torchère. Pourtant, se petit courant d’air si souverain lors des grandes chaleurs d’été s’avère un redoutable traître. -36°C. Les yeux me font mal.

J’ai froid aux yeux, terriblement froid. Mes pauvres mirettes se confinent derrière une millimétrique fente d’air qui sépare la base de la chapka de mon écharpe. Même ainsi. J’ai froid, si froid. Ce damné vent entraîne ma pauvre petite protection d’air tiède de seulement -15°C pour le remplacer par ce si vicieux -35°C. C’est si bête. Les mains, les pieds même, je n’ai pas froid. Seulement ces dards de glace qui s’attaque à mon pauvre iris le transpercent d’imaginaires mais pourtant bien cruels tessons de douleurs.


Russie - Kharyaga - pad108 002


Providentiellement, le jeu cesse. La température remonte jusqu’à un souverain et délicieux -20°C qui nous redonne goût aux travaux extérieurs. Dans ces conditions quasi estival, nous pouvons déposer les armes et goûtons à nouveau le plaisir de pouvoir passer dehors, brièvement, en chemise.

Le lieu n’en est pas moins baigné de lumières étranges, divines. En effet, l’air imprégné de glace diffracte toute lueur d’une bien curieuse manière. Les torchères n’irradient pas uniformément autour de la flamme comme toute lumière bien élevée devrait le faire mais génère un pilier d’air embrasé s’élevant vers le ciel.

Impossible de se lasser de ce spectacle ou le feu issu de l’industrie des hommes échappe aux règles de la physique pour prendre sa liberté dans un voyage vers le ciel qui ne peux que faire rêver les témoins que nous sommes.