Un enculé de flic m’a sauvé la vie

J’ai 35 ans, je ne fume pas, je ne suis pas alcoolique, et lorsque je fume un pétard c’est plus pour le goût particulier que pour la recherche du THC. Pourtant, il aurait pu en être autrement.

Il y a quinze ans, j’avais 20 ans. Le monde s’ouvrait à moi, j’étais jeune, j’avais un taf, je gagnais ma vie et je fumais de la beu. Oh pas beaucoup, et d’ailleurs toujours celle des autres. Continue reading

Un monde sans argent liquide

http://rue89.nouvelobs.com/2016/09/02/lancien-chanteur-dabba-croisade-abolir-cash-265058

L’article en référence dans ce texte propose un monde sans espèces. L’exemple prit est celui de la Suède, un pays où l’effort pour remplacer les espèces par des échanges électroniques est très avancé avec comme argument maître la lutte contre la criminalité. La clef de voute des avantages proposées par la lutte contre le cash est son anonymat. En très résumé, Continue reading

Et si les parlementaires n’étaient pas élus?

assemblee_nationale_paris

En France, l’un des vieux loups de mer de la critique politique consiste à remettre en cause la professionnalisation du parlement. On rentre en politique comme au séminaire, et de maire à parlementaire, en passant par délégué de circonscription ou adjoint, nos politiciens font de fait, carrière.
Une idée, vielle comme la république propose de tirer les parlementaires au hasard. Dans un pays de plus de soixante millions d’habitant cette initiative pourrait être catastrophique. Dans l’Athènes qui a fabriqué cette idée, la population des citoyens éligibles constituaient une minorité instruite de ses devoirs. Aujourd’hui, un tirage au sort parmi les adultes français générerait une représentation de la France qui ne serait pas forcément propice à gouverner. Des gens très agés, très jeunes, trop malade ou tout simplement pas intéressé par le job seront statistiquement beaucoup trop représenté dans l’hémicycle.
La parade ? tout simplement l’inscription sur une liste dans laquelle on piocherait nos parlementaires, désormais élu pour 3 ans, renouvelé par tiers tous les ans. On obtiendrait ici l’avantage du tirage au sort en détruisant la notion de carrière politique tout en n’ayant que des candidats motivés à la fonction politique. Rien l’interdirait de s’inscrire à 18 ans pour les passionnées ou a 65 pour les retraités ayant l’envie de se mettre potentiellement au service de son pays.
Rien n’interdirait de se désinscrire à une période de la vie plus propice à l’exercice d’un mandat nationale. La vie de famille, les aléas professionnels, les incidents de parcours, l’âge pourrait ainsi modeler les inscriptions et désinscription.
Qu’elle soit composé de mille noms ou d’un million cela ne changerait rien. Seul des candidats motivés la constituerait. Un partie politique serrait trop représenté ? une façon très simple permettra d’y remédié : que ceux qui ne sont pas en accord s’inscrive. S’inscrire sur un telle liste deviendrait alors un acte politique qui statistiquement modifierait la représentation du parlement.
Bien entendu, cette acte simple aurait une conséquence implicite. On risquerait d’être nommé. On risquerait de ne plus pouvoir se cantonner au rôle de critique mais bien au rôle d’acteur.

Pourquoi trois ans ? mais parce que la vie en entreprise a appris empiriquement que c’est une bonne durée pour une poste. Un an pour le prendre en main, un an de monté en puissance et une dernière année d’excellence et de formation de la relève.
Pourquoi un renouvellement par tiers ? mais tout simplement pour ne pas perdre toute l’excellente expérience acquise en trois ans. Il faut tout de même garder en tête que dans notre système actuel, si des politiciens ne faisaient pas carrière justement, l’intégralité du savoir-faire parlementaire serrait perdu tous les 5 ans.
Enfin, en trois ans, la séparation vis-à-vis de l’emploi d’origine n’est pas trop gigantesque. Pour ceux qui se projette dans la durée dans leur entreprise, trois ans de suspension ne sont pas suffisant pour perdre tous savoir.
Dans un système de ce type, les parlementaires ainsi nommés s’inscriraient beaucoup plus dans la définition du parlement. Des représentants de la France au service de la France, qui vivraient sans l’inquiétude d’une élection, dont ils n’auraient cure.

L’argent de l’état

La baisse du prix du pétrole, phénomène long à l’échelle du budget d’un état a eu certaines conséquences singulières. L’une d’entre elle dans un pays où 95% du PIB provient des revenus du pétrole a été le non-paiement du salaire des fonctionnaires.

Une jeune stagiaire s’en formalisait ainsi : « qu’ils tapent dans la caisse c’est une chose, mais au point de mettre les gens dans la merde en ne payant plus leur salaire, c’est tout de même une honte »

Ce commentaire, dévoile un aspect singulier de la perception de la corruption, du vol et du détournement de fonds publiques.

En effet, tout d’abord il dévoile que le détournement de fond est considéré comme acceptable à défaut de normal tant que les gens sont payés. Or, les fonds détournés jusqu’alors auraient pu servir à développer l’économie du pays et permettre au dit pays de devenir résiliant aux variations de cours du brut. Cet aspect est connu. Cependant, ce que le pays pourrait être dans d’autres circonstances est un effort de projection assez difficile. Il faudrait imaginer ce qu’il serait possible de faire avec de l’argent. Ici, c’est le phénomène inverse qui est au commande, l’environnement connu est remis en cause, et donc on perçoit parfaitement les effets du manque d’argent.

Au passage il révèle que le mécanisme n’est jugé immorale que lorsqu’il semble toucher notre individualité propre. En effet, quelque part, l’argent de l’état n’est pas perçu comme appartenant aux citoyens il n’est donc pas si grave qu’il soit volé.

Sauf que l’argent publique, c’est le nôtre. Et d’une manière générale, l’argent mutualisé c’est le nôtre. Il n’est pas socialement ni moralement admis d’aller prendre la tv du voisin. Cela s’appelle du vol. qu’elle est la différence sur le fond entre voler une tv, et consulter trois fois un médecin pour avoir le traitement qu’on a estimé juste (fraude à la sécu), se faire payer ces vacances en notes de frais, ou dissimuler ces revenus au fisc ? à chaque fois il s’agit d’un vol, et du vol de l’ensemble de la population.

Quel est le rapport, entre ces deux parties ? tout. Voler le système, indépendamment de toute dimension morale, c’est à chaque fois se diriger vers la situation que j’évoquais en introduction. Une situation où progressivement il n’y a plus d’argent publique. L’intégralité a été détourné, à tel point que ce n’est même plus l’investissement ou l’entretient du pays qui est en panne, c’est le paiement même des gens qui servent à le faire tourner.

Démocratie vous dites?

Wikipedia me dit : la démocratie désigne le régime politique dans lequel le peuple a le pouvoir. Depuis mon enfance, la définition politique qui m’a été faite de la démocratie consiste à appliquer une ligne politique qui correspond à la majorité de la population. Forcément, en fonction des décision, cette majorité peut être de 50% plus une voie  ou d’un corum de 66%, ou d’autres. Mais concrètement l’idée reste la même : la décision de la majorité est sensé s’appliquer, et la minorité est sensé en prendre acte. C’est ce que nous vivons à chaque élection présidentielle, parlementaire communale, des délégués de circonscription aux délégués de classes à l’école. Nous sommes confrontés à ce principe depuis toujours : 50% plus une voie et c’est dans la poche. Les 50% moins une voie doivent prendre acte et s’incliner.

D’ailleurs, et afin d’éviter les mouvements de masse un contre-pouvoir nommé par l’élite pré-élue est là pour garantir que les changements d’opinions trop fréquents soient temporisés. Dans le gouvernement français cela s’appelle le sénat. D’une salle de classe au gouvernement d’un pays en passant par les conseils d’administration des entreprises, ces règles sont quasi universel.

Et bien ces règles sont mourantes.

Depuis quelques mois, de multiples exemples sont là pour montrer que nous ne souhaitons plus respecter cette règle du jeu. Un parlement et un gouvernement vote des lois ? qu’importe, nous manifesterons jusqu’à ce qu’ils retirent la loi. qu’importe que les parlementaires, nos représentants élues aient agréé. Ils ont forcément x, y ou z raison de s’être trompé.

Vote du Brexit jeudi 23 juin ? qu’importe le résultat, les londoniens manifestent ce Samedi 2 juillet pour appeler à ne pas respecter le vote.  Référendum sur l’aéroport Notre Dame des Landes – 55% en faveurs de son implantation… qu’importe ce vote n’a pas d’importance, les manifestations continuent et estiment légitime leur combat.

Aujourd’hui, l’actualité est pleine de ce refus de respecter le jeu démocratique. La raison n’en a pas d’importance et mon propos ici n’est pas de l’identifier. Ami lecteur, prend conscience que ta démocratie se meure. Qu’il est devenu commun de bafouer l’expression du choix collectif comme celui de ces représentants. La règle unique qui fonde la participation du peuple au gouvernement des différents aspects de sa vie repose sur l’acceptation des résultats des votations.

Refuser de jouer le jeu pourrait nous amener bien des surprises.

Histoire de lapins

C’est un couple, Albert et Marie, qui croient tout deux au spiritisme et à la réincarnation.
Ils se firent un jour la promesse que si l’un d’eux venait à mourir, celui qui serait encore en vie essaierait de contacter le partenaire défunt dans l’autre monde 30 jours exactement après son décès.

Malheureusement quelques semaines plus tard, Albert décède lors d’un terrible accident de voiture. Fidèle à sa promesse, 30 jours exactement après le terrible accident, Marie essaie de contacter son doux dans l’au-delà.

Durant la séance de spiritisme, Marie, en transe, appelle d’une voix mystique :
“- Albert, Albert, c’est Marie, m’entends tu ?”
Une voix encore plus mystique se fait entendre :
“-Oui Marie, je t’entends.”
Marie, un brin effrayée :
“- Oh, Albert, à quoi ressemble l’endroit où tu es à présent ?”
“- C’est magnifique, un ciel azuré, une tendre brise, des prairies verdoyantes où le soleil brille la plupart du temps.”

Marie, en pleurs:
“- Et que fais tu de ton temps ?”
“- Eh bien Marie, vois tu, on se lève juste avant le lever du soleil, on petit déjeune copieusement, et après on ne fait que baiser jusqu’à midi. Après le déjeuner, on fait la sieste jusqu’à deux heures puis on baise jusqu’à…, bon ça dépend de la partenaire, cinq heures… Ensuite un autre bon repas et on baise jusqu’à tomber raide de fatigue et finalement s’endormir vers les 23 heures en fonction de la partenaire.”

Marie, toujours en pleurs, mais choquée:
“- C’est à ça que le paradis ressemble ?!!”
“-Le paradis? Je ne suis pas au paradis Marie !”
“- Snif, où es tu alors ?”
“- Je suis un lapin, dans les Cévennes !”

Kazakhstan – la steppe fond

Et la steppe fondit. De -10 à -20°C les premiers jours, il fait désormais près de 5°C. Tout fond à une vitesse folle. Mais cette immense plaine n’a que très peu de pentes. l’eau reste sur place transformant le sol en un gigantesque marécage. Djeep, camions 6 roues motrices, Manitou, plus rien ne bouge. même le bulldozer de génie civil reste coincé comme un idiot.

seul hic, le printemps était sensé se produire début mars et nous n’avons pas vu venir le redoux. toute l’activité s’est arrêté, il ne reste plus de fuel que pour une quinzaine de jour, pas plus de nourriture, d’eau potable, et il manque du matériel essentiel.

Il est l’heure de se reposer en regardant l’horizon et en attendant les camions. Vu la hauteur de boue, ca va être long.


Kazakhstan, premiers pas

J’ai quitté l’Angola sans regret et me voici désormais au Kazakhstan. Il y aura beaucoup à raconter, mais pour commencer quelques photos s’imposent pour illustrer le pays. Pour les fanatiques d’exactitude les coordonnées sont : 46° 38′ 39.18″ N &  57° 18′ 58.96″ E.

Ces clichés21 ont été prises dans l’Ouest du Kazakhstan, juste au nord de l’Ouzbekisthan, entre Kulsary et Chalkar. En cherchant bien on peut trouver ces villes sur Google map. C’est un océan de rien, une vaste plaine de 400 kilomètres de diamètres avec juste la steppe à perte de vue semblable à un Océan.

Lors de mon arrivé dans la steppe, 20 centimètres de neige la recouvrait. de là, nous l’avons traversé. 400 km à 35 km/h de moyenne nécessitent un certain temps de parcours. Ca laisse aussi tout le loisir d’apprécier ce rien. D’une certaine manière c’est assez reposant.


Angola – un simple quidam

Luanda.

L’air est saturé de lumière et de poussière, je plisse les yeux. Je suis un quidam mais pas un passant. Je ne suis personne, une fourmi parmi tant d’autres et comme mes semblables, je suis présent sans vraiment appartenir à la cité. Cette ville fonctionne à plusieurs vitesses. Parmi tous les flux et reflux,  le nôtre semble tout faire à contre courant.

Je suis géologue expatrié pour une compagnie pétrolière.

La voiture qui m’emmène est verrouillée dès l’instant où je monte à bord. Je suis à l’arrière, les portes sont closes, quand bien même je le souhaiterais elles ne s’ouvrent pas. Mon regard erre par la fenêtre sans plus rien voir. Mes yeux ouverts sont aveugles. Nous traversons l’immense bidonville qui borde l’aéroport, c’est le Mousek. Avant, il ne s’écartait que d’un kilomètre autour du centre ville. Aujourd’hui, ces baraquements de béton et de tôles serrés les uns contre les autres s’étirent à perte de vue. La voiture roule lentement. Le chauffeur comme tous les autres, virevolte sur la route défoncée. Entre les voitures, une multitude de jeunes vendent tout et n’importe quoi. Ceintures, briquets, homards, pèse-personne, devise locale, clefs à molette, téléphones portables. Le flot est lent. De temps en temps, un véhicule ralentit. Le vendeur court alors à son côté pour marchander. La voiture ne s’arrêtera que si le bouchon continu l’exige. Il faut avoir de bonnes jambes.

Au bord de la route, des bidons, des canettes, des pneus, une épave calcinée, un homme endormi s’ajoutent au relief des bâtiments soviétiques décatis. Mon regard s’attarde sur une fenêtre. Au milieu des antennes satellites et des climatiseurs, des impacts réguliers  marquent d’antiques rafales de mitrailleuses.

Après un temps court, ou long, vingt minutes ou deux heures, la voiture s’engage sur la Marginale, une large avenue qui court le long de la baie. Côté mer, des myriades de bateaux, de tankers, de cargos parsèment l’onde. En face, dans la flèche de sable qui sépare Luanda de l’océan, des épaves échouées sont rattrapées par les dunes. La récupération de leur acier aura bientôt raison de leur coque et seules les mégastructures indécoupables fossilisent au milieu des habitats qui suivent l’avancé du sable. Elles serviront de squelette à l’enchevêtrement de cabanes qui colonise chaque espace libre. Coté ville, derrière une caricature de Gattaca, derrière les tours des grandes compagnies pétrolières, derrière le palais présidentiel au sommet de la colline, il y a toujours le Mousek. Les étages appartiennent aux nantis mais le sol reste sa propriété. Il est partout, entre chaque bâtiment, entre chaque tour, entre chaque dalle. Ses habitants cherchent la vie, la subsistance partout où cela est possible. Le moindre kwanza gagnable sera gagné, parfois arme au poing.

Je suis un quidam, un insignifiant, mais l’expatrié que je suis est bien visible bien au milieu de cette fourmilière. Le Mousek n’est pas raciste, mais il a faim, et nous, étrangers naïfs, nous sommes si peu dangereux, si faciles à dépouiller.

Luanda est une mégapole prévue pour sept cent mille habitants en abritant sept millions. Le pétrole, manne inépuisable, a découragé toute autre activité.

Les compagnies pétrolières, semblables à d’immenses séquoias géants au milieu d’une steppe vide, s’élèvent dans la vie du pays comme les tours de bureaux qu’elles occupent. Elles sont omniprésentes, riches, colossales, pleines de sève. Autour d’elles gravite un miasme ininterrompu d’opportunistes. Tel du gui, tous ceux qui ont un peu de force, de pouvoir de créativité parasitent les rares fleurons de ce pays.  En bas de cette échelle de pouvoir, ceux qui n’ont aucun moyen de prendre une part de ces richesses restent dans la misère, ils peuplent le Mousek.

Une forêt sans âme pousse sur Luanda. Les arbres pétroliers croissent sur une terre désespérément aride où rien d’autre ne trouve de place. Ils doivent grandir vite car depuis leurs bases jusque déjà haut dans les branches, le gui recouvre tout.

Je suis un expat. Je suis là pour faire vivre, pour donner une dynamique à la croissance de cette entreprise déjà immense dans l’écosystème local. Nous sommes des milliers. Ils sont des millions. Pour chaque nouvelle branche, il faut de plus en plus de ressources, de temps, de risques. C’est une course, le gui, la masse des profiteurs recouvre tout, paralyse tout, asphyxie tout.

Il est efficace et redoutable d’imagination. Le port par lequel le gouvernement impose à tous de transiter, qui lui appartient et dont les prix sont aussi changeants que le cours d’une rivière; le racket organisé par les flics pour récupérer leur part du gâteau; les braquages qui ont lieu juste après les flics, kalachnikov en main pour ratisser les miettes; les quotas de personnels employés pour forcer un illusoire transfert de compétences; les pots de vin sur les frais de dédouanement, tellement organisés qu’ils obéissent à un barème : dix pour cent de la valeur du bien pour un dédouanement “rapide” en seulement une semaine.

Toute la créativité de la ville est employée à ponctionner la richesse existante. Il ne reste rien pour en créer, et le Mousek croit.

Toucher à ce parasitisme, chercher à assainir quelque aspect de ce milieu délétère, remet en cause un équilibre fragile de lutte d’influences menées par des experts retords. Toute la structure sociale est affectée car indépendamment des hommes de pouvoirs, un équilibre perfide s’est installé.

Les enjeux sont énormes. La corruption et le parasitisme sont tellement ancrés dans la vie, qu’ils sont devenus des moteurs d’ascension sociale bien plus efficace que toute forme de travail.

Alors nous préparons. Nous entretenons l’arbre, soignons de nouvelles branches tentons de freiner le gui là où il n’est pas encore implanté. Fiers de notre œuvre, nous la contemplons avec regrets, car il faut l’oublier. Tôt ou tard, il n’en restera rien.

Il n’y a pas d’autres arbres que les compagnies pétrolières. L’Angola,  pays béni des dieux, un climat heureux, des pluies régulières, trois récoltes par an, est importateur de nourriture. Pourquoi produire quelque chose, pourquoi créer un arbre agronomique, industriel, financier? La sève de l’arbre pétrolier est tellement plus facile d’accès.

La voiture s’engage sous le porche. Dans les deux mètres qui me séparent de l’hôtel, cinq gardes veillent. Dans cet espace, l’odeur d’égout, d’urine et de fiente me prend à la gorge. Les quelques arbres sont envahis d’un millier de mouette, ils sont morts, tués par l’acidité des déjections. Une canalisation d’égout reste béante, quelques tôles ondulées cachent un chantier abandonné. Nous sommes à Chicala, une des zones chics de Luanda.

Depuis mon Club Med avec bar en faux torchis je contemple la mer. Les débris de caoutchouc et la bouche d’égout un peu plus loin me soufflent d’éviter la baignade. Au loin j’entends une boite de nuit. La jeunesse de Luanda peut s’y retrouver pour peu qu’elle puisse trouver les centaines de dollars nécessaires. Les expats y vont rarement. C’est trop cher.

Face à ma piscine, sur le transat un whisky à la main, je contemple nonchalamment la ville. Heureusement, dans un mois, je rentre en France.


Paris.

La lumière cristalline de ce début de mars m’accueille d’un lever de soleil sur le train qui me ramène de Roissy. Mon regard erre par la fenêtre vers les cités de la Courneuve et de Saint Denis. Je note l’absence de voiture brulée, les bennes à ordures vidés, les rues propres. Les barres d’immeubles des années soixante ne sont finalement pas si mal et on peut encore voir la couleur des murs sous les graffitis. Le train se remplit. Un jeune homme se lève spontanément pour laisser s’asseoir une vielle dame. Je rêvasse en pensant à toutes ces voitures qui n’existent pas grâce au métro. Gare de Lyon, un passant m’indique précisément mon chemin, le sourire aux lèvres. Je suis une fourmi, un insignifiant, personne. Une multitude d’arbres poussent: Ils n’ont pas l’allure d’un géant pétrolier, ils sont moins grands, leurs frondaisons moins luxuriantes et certains sont morts. Une forêt entière grandit sous le soleil. Sur les branches basses, juste un peu de gui à peine remarqué. Au loin, par-dessus les toits, d’autres toits, peut être moins beaux, mais des toits. Que j’aime Paris.

 7 mars 2014, Paris, gare de l’Est

Mafate

Les montagnards désignent presque toujours leur montagne comme la plus belle du monde. J’ai vu les Carpates, et les hautes Alpes sont plus belles. J’ai vu les Pyrénées et les hautes Alpes sont plus majestueuses. J’ai vu le massif Central et les hautes Alpes sont plus vivaces. J’ai vu les Vosges et les hautes Alpes sont plus insaisissables. J’ai vu les pics du Lesotho et les hautes Alpes sont plus pures. J’ai vu les glaciers de Chamonix et j’ai ressenti la force de l’attraction entre l’Homme éternel et la montagne inaccessible. Puis, j’ai vu Mafate….

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Mafate : un cirque volcanique au milieu d’une île minuscule noyée dans l’océan Indien. Une oasis vide sur une île surpeuplée : une fin de monde.

Mafate, ce n’est rien. Tant qu’on le regarde d’en haut depuis les cols accessibles en voiture ou en randonnée d’un jour, ce n’est qu’un cirque volcanique comme tant d’autres, comme Cilaos, comme Salazie.
Pourtant, il est pudique. Le point de vue le plus commode est le Maïdo ; pic domestiqué où l’on va en voiture, un point de vue souvent inutile car Mafate dissimule ses mystères derrière d’omniprésentes brumes. Le col du Taïbit, le col des Bœufs : chacune de ces vues ne dévoile que rarement les dentelles de basalte, lames de roche déchiquetées qui s’élèvent du fond du cirque, murailles chaotiques issues d’un passé 16oublié. Mafate ne se laisse pas regarder, on ne peut l’observer. Il faut le percevoir, le respirer, sentir ses humeurs.

De loin, d’en bas, de la plaine, vue d’une carte, le col des Bœufs semble un accès facile. Même une fois garé, avant de passer le col il reste une tranquille petite brèche d’accès à travers la muraille insondable qui entoure le cirque. Pourtant, le début marque. Départ deux milles mètres ; huit cents mètres de descente d’un escalier sans fin pour atteindre La Nouvelle, bourg d’accueil des touristes en baskets. Jusque là, Mafate boude. Le chaland n’aura rien, rien de rien. Quelques tamarins, un sentier de bois ; ce sentier sans âme ravi tous ceux qui n’iront pas plus loin.

Mafate s’intéresse à ceux qui viennent réellement le visiter. Non pas d’un simple salut avant de repartir mais bien d’une visite courtoise en bonne et due forme, avec ses codes. Dans la descente de La Nouvelle au torrent qui le sépare du village de Roche Plate, le ton est donné. Des marches, des centaines de marches, un millier de marches, sans fin, sans répit.

Les marches sont la monnaie de Mafate.

Chacune rapproche de l’esprit du maître des lieux, chacune éloigne du monde des hommes.

Cette descente sans fin nous paye une vue sur la première cathédrale de pierre. La Nouvelle est construite sur un plateau à mille deux cents mètres qui domine un gouffre béant marquant le fond du cirque. Il faut passer par ce fond. Nous descendons entre deux parois subverticales de près de six cents mètres  tranchées au rasoir. De multiples cascades se frayent un chemin dans les anfractuosités de ces deux miroirs de verre. Ça et là, la trace d’une loupe d’arrachement témoigne du combat impitoyable que se livrent l’eau et la pierre sous l’arbitrage absolu du vide, profond, insondable, gagnant systématique de ce jeu de dupe.

La végétation luxuriante occupe le terrain. Sur de multiples épaisseurs les mousses et les fleurs s’enchâssent dans le moindre relief, s’accrochent aux moindres replats et tissent un indémêlable voile vert.

Ce spectacle qui se découvre au fur et à mesure de la descente nous enivre et nous fais perdre la notion du temps.

Les marches sont la monnaie de Mafate.

Mafate - route de Roche Plate - Eliane 002Mon compagnon de voyage ne peut pas payer. La patente est trop lourde, la peine sera sévère. Peine, douleur, ankylose. Chaque nouvelle marche, achetée à crédit multiplie l’endettement. Désespoir, anéantissement. Nous arrivons au fond du gouffre. Il est merveilleux. Nous sommes au fond du monde, au fond de ce monde. Le torrent tout proche sourde violemment et chaque tourbillon d’écume est amplifié un million de fois sur les deux grands miroirs qui désormais nous dominent totalement.

Vidé, mon compagnon de voyage s’effondre, s’endort, oublie le temps d’un somme ses jambes hurlant de douleurs, le torrent, les ravines, la nuit qui tombe, l’œil amusé de Mafate qui se divertit de la dette déjà accumulée par ce mauvais payeur.

Nous ne repartirons pas de ce défilé aujourd’hui. Nous n’atteindrons pas Roche Plate ce soir. Je profite d’un des cadeaux de Mafate et m’offre un bain délicieusement tourbillonnant dans l’écume du torrent. Je cueille ainsi les fruits de cette prison à ciel ouvert. Le fond du gouffre est accueillant. Le piège est parsemé de lits de sable, d’énormes chaos basaltiques, de reliquats de roches anguleuses témoins des derniers éboulements. Il fait bon, l’eau est douce, l’air calme ; pourtant la situation est dangereuse, très dangereuse. Je crains la pluie et les variations de débit du torrent, je crains les chutes de blocs dont l’écho régulier nous rappelle la fréquence, je crains les glissements de terrains dont les marques aux parois témoignent de la violence.

Pendant que mon compagnon de voyage paye ses dettes, je cherche un bivouac. Mafate n’est pas un ingrat et propose, pour les suffisamment téméraires de confortables plages de sable noir où planter une tente. Je guide mon compagnon qui titube jusqu’à la moins exposé d’entre elle. Pendant qu’il monte le camp, j’amène son sac, coquille abandonnée un peu plus haut.

Nous ne parlons que peu. Nous savons tous les deux que notre position est mortelle. La plus petite pluie signera notre arrêt de mort. À la moindre goutte il faudra fuir. Les sacs sont prêts, prêts pour déguerpir.

Nous dormons. Je surveille le ciel, veille les nuages, écoute le chant du torrent. Mafate est joueur et retient la pluie, n’obscurcissant la nuit que de quelques cirrus.


Le lendemain, direction  Roche Plate. Cinq cents mètres de montée. Cinq cents mètres de marches : un enfer. Nous partons cahincaha.  Lentement. Très lentement. Sûrement.

Les marches sont la monnaie de Mafate ; et même payé à crédit, il nous dévoile un peu son cœur. Depuis l’autre versant, dans la lumière bruissante autour des cascades, de multiples joyaux nous sont désormais accessibles. Dan
s l’air cristallin du petit matin, le gouffre nous montre sa magie paisible, tranquille, inaccessible.

Atteindre Roche Plate est une délivrance. Roche Plate, comme la Nouvelle, comme Marla est un petit hameau que les mafatais habitent, coupé du monde, seulement relié par le trait d’union d’un hélicoptère ravitailleur.. Mon compagnon de voyage s’effondre et nous fêtons cette arrivée d’un repos bien merité.

Roche-Plate. Un peu plus d’un jour de marche pour rejoindre notre point de départ au col des Bœufs, c’est long, surtout en clopinant. Nous décidons de nous séparer. Je partirai vers l’Est pour récupérer l’auto et mon compagnon de voyage soignera ses plaies avant de se diriger, le lendemain, vers le Maïdo. Le Maïdo ; mille deux cents mètres à pic. Mais pas d’autre choix, c’est la voie la plus simple et la plus courte pour sortir du cirque. Pour ma part, j’irai vers Marla, seul.

Mafate - route de Marla

Sur la route de Marla, je découvre d’autres visages de Mafate. Je paye Charon, passe, et Mafate me livre un peu plus de son cœur. Le sentier traverse un voile de brume et une vision jusqu’ici dissimulé se révèle. Le chemin de Marla serpente le long des parois du volcan. Je longe une immense dalle de basalte incurvée que forme le bord du cirque et qui me domine de près d’un millier de mètres. En contrebas, au loin, je vois le défilé dont nous nous sommes arrachés encadrer de grandes lames de roches, vestiges de l’effondrement du volcan. Rien n’est plat. Rien n’est doux, tendre ou verdoyant tel un alpage.

La route de Marla est taillée dans le flanc de la montagne. Elle s’enfile autour des gouffres, s’enfonce dans des ravines, surmonte des pitons. Des marches, des marches et encore des marches. À la montée, à la descente, toujours abruptes. Le plat, que dis-je, la pente douce est un concept que le maître des lieux a banni.

Les marches sont la monnaie de Mafate. Les pitons vertigineux succèdent aux ravines insondables toujours dominés du bord du volcan, barrière infranchissable qui me sépare du monde des hommes. Une brume m’accompagne qui de tant à autre se change en fine bruine. L’air est saturé d’humidité. Il est inutile de se cacher de la pluie. Je progresse torse nu et l’eau ruisselle sur ma peau tandis que j’avance vers l’amont des torrents. La végétation comme ailleurs a élu domicile dans chaque recoin et je traverse régulièrement de véritables tunnels de plantes tropicales qui me sont toutes plus étrangères les une que les autres.

La succession des dévers me fait perdre la notion du temps. Il fait bon. Les rivières que je croise me permettent de ne pas manquer d’eau. Je finis de me fondre dans Mafate. Je cesse de penser. Je deviens une chanson ; une chanson qui guide mon souffle, mon pas. Je suis une respiration. Je ne réfléchis plus. Je me sens bien. Je voudrais marcher sans fin ; une vie.

Trois Roches me sort de ma rêverie car Mafate me découvre un autre de ses charmes. Les pitons décharnés laissent place à une longue rivière de galets qui s’est taillée un chemin au travers des lames de pierre. Ma voie suit tant bien que mal ce vif torrent, passant d’un surplomb à un contrebas, esquivant les gorges et les à-pics que le cours d’eau a creusé.

Encore des marches, mais je ne les sens plus. De temps en temps je croise un raideur, un groupe de randonneurs. Ils n’existent pas. Je me suis fais capturé par Mafate et ces spectres ne percent pas la musique de mon pas. Je progresse dans un silence minéral. Les oiseaux chantent ma musique, les torrents battent mon rythme.

Marla. L’endroit est plaisant, je ne m’attarde pas. Je ne souhaite pas parler. Je continue. La nuit tombera bientôt. Près d’un torrent, en pleine forêt de pins : un bivouac. Ce soir encore, un bain. Quel bonheur. Quelle paix. Je monte la tente, dîne, dors bercé par le chant de l’eau.


Mafate - route du col des boeufs 004

Dès l’aube je repars. C’est la dernière ligne droite, la dernière montée pour rejoindre le col des Bœufs. Ensuite, il faudra faire le tour de l’île pour rejoindre le Maïdo. Je crains que mon compagnon de voyage ne tienne pas la montée. S’il craque, il faudra le porter.

Alors que paisiblement je gravis un coteau, j’émerge devant la plaine des Tamarins. Si dans mes lectures des légendes arthuriennes je m’étais jamais fais une représentation d’Avalon, alors Avalon était devant moi.

En quelques centaines de mètres je quitte ce tunnel végétal escarpé qui passait de pitons en ravines pour déboucher sur un plateau. Le soleil se lève encore paresseusement et commence tout juste à illuminer la rosée matinale essaimée sur les hautes herbes. Ces hautes herbes forment une clairière au centre d’une forêt quelque peu clairsemée de tamarins tous recouvert de lichens vert pâles. Les tamarins, trapus, ont des troncs en tout sens tel des Ents figés en plein mouvement. Les herbes dissimulent un marécage et un chemin de rondins s’y coule paresseusement marquant la marche à suivre. C’est une des rares plaines planes, peut-être la seule de Mafate. Je traîne, caresse un tronc, souris à une grenouille, m’attarde au chant d’un oiseau. Non loin, les hautes murailles du cirque sont les seules à me rappeler où je me trouve. Je déguste chaque pas comme un dessert rare, remplis mes poumons de la magie du lieu.

Les plus beaux miracles ont une fin. La plaine des tamarins s’achève sur le chemin joignant le col des Bœufs à La Nouvelle, une autoroute pour touristes visitant Mafate par un judas.

Dans la fraicheur matinale, une brume m’a rejoint et atténue les voix. Les babillements m’agacent, le retour au monde des hommes est dur.

J’arrive à la voiture. Col des Bœufs – Maïdo : trois heures. Au Maïdo, il pleut, il fait froid. Je cours à la descente pour rejoindre mon compagnon de voyage. Théoriquement, j’ai une heure d’avance. En fait, la pluie l’a forcé à limiter ses repos et je le voie qui arrive au sommet presque en même temps que moi. Fier, dans un sourire soulagé, il paye le prix de ses dernières marches, seul, sans aide.

Mafate est grandiose, solitaire et sans pitié. Les marches sont la monnaie de Mafate.